Incontournable
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Mais qui est donc le duc Jean de Berry ?
Jean de France (1340-1416) est le troisième fils du roi Jean II le Bon et de Bonne de Luxembourg. Il devient comte de Poitiers en 1356 et duc de Berry en 1360. Otage en Angleterre pour le paiement de la rançon de son père suite à la bataille de Poitiers, il est souvent décrit comme un homme politique sans envergure et un médiocre administrateur, de surcroît fort impopulaire.
Le mécène rachète heureusement l'homme politique au regard de la postérité. Amateur d'art, Jean de Berry a très tôt le goût des œuvres belles et rares et fait travailler les meilleurs artistes du royaume et d'Europe. Il commande plusieurs livres de prières (ou livres d'heures) dont les Très riches Heures du duc de Berry conservées au musée Condé à Chantilly. Le souvenir de la beauté de ses châteaux (Riom, Dourdan, Étampes, Lusignan, Mehun-sur-Yèvre) est parvenu jusqu’à nous grâce aux enluminures des manuscrits qu'il fit exécuter.
À Bourges, le duc construit un palais ducal complété d’un sanctuaire. En août 1392, il obtient du pape Clément VII l’autorisation de fonder une Sainte Chapelle, nommée Chapelle Saint Sauveur, et d’y instituer un chapitre. En mai 1404, il manifeste publiquement l’intention de se faire enterrer dans ce lieu. Les travaux de cette œuvre majestueuse, écrin du tombeau, se sont étendus sur une quinzaine d’années pour se terminer en 1405.
Pillée par les protestants en 1562, détruite en partie par un incendie en 1693, gravement endommagée par un ouragan en 1756, la Sainte Chapelle sera démolie un an plus tard. Après être demeurés près de trois siècles dans la partie centrale du chœur de ce sanctuaire, le mausolée et les restes du duc sont transférés dans la crypte de la cathédrale de Bourges. Le tombeau sera malheureusement en partie détruit par les révolutionnaires et tout le soubassement sera démantelé en 1793 : la partie basse, les arcatures et les pleurants seront alors dispersés ou détruits. La partie haute du mausolée est aujourd’hui exposée dans la crypte tandis qu’une reconstitution totale du tombeau en plâtre est visible au palais Jacques Cœur.
Erlande Brandenburg affirme que le tombeau a été commandé à l’artiste Jean de Rupy dit Jean de Cambrai en 1404, du vivant du duc, comme cela était l’habitude de l’époque depuis que Charles V en avait donné l’exemple. La mort du duc en 1416, à l’âge respectable de 76 ans, et le manque de finances expliqueraient l’arrêt des travaux et l’édification du mausolée en deux périodes distinctes.
La première campagne de construction est entreprise par Jean de Rupy dit Jean de Cambrai, collaborateur d’André Beauneveu, alors que la seconde campagne, qui peut être datée des années 1450 à 1457, est entreprise sur l’ordre de Charles VII, héritier de son grand-oncle et confiée à deux autres artistes.
Le gisant de marbre blanc montre une ressemblance incontestable avec Jean de Berry. Son visage est traité de façon réaliste, le sculpteur ayant su traduire dans le marbre la bonhomie du duc. Le corps est vêtu de deux longues robes dont les manches sont fermées par de petits boutons élégamment sculptés. Le tout est recouvert du manteau ducal avec des incrustations de marbre noir imitant l’hermine, sur du marbre blanc de première qualité.
Aux pieds du duc, un ours, qui repose son museau sur ses pattes d’une manière dolente, suscite de nombreuses interprétations… Comme roi des animaux, il incarne la puissance et la force. Mais cette puissance est muselée et enchaînée. Il y a là toute une symbolique : le duc Jean aurait aimé monter sur le trône mais il n’était que le troisième des garçons… et c’est son frère aîné, Charles, qui prendra le pouvoir sous le nom de Charles V.
Pour évoquer l’état primitif du tombeau, le plus judicieux est actuellement de regarder la reconstitution réalisée par l’architecte vierzonnais Paul Gauchery, qui permet une approche du monument mais non une reproduction fidèle.
À l’origine, le soubassement recevait un cortège funèbre composé de personnages diversement traités. Ce cortège, disposé dans des niches, comprenait 40 pleurants posés sur de petits socles. À ce jour on comptabilise 29 pleurants retrouvés, exposés à Bourges mais aussi à Paris, New York, Saint Pétersbourg et dans d’autres collections.
Parmi les pleurants référencés, cinq sont en marbre, de la première campagne et l’œuvre de Jean de Cambrai, alors que 24 pleurants sont en albâtre et attribués à Étienne Bobillet et Paul Mosselman. L’agitation du drapé, la cassure des plis et le retournement des chaperons, les creux qui amenuisent les volumes confirment pour les pleurants de la seconde période l’influence bourguignonne, et rappelle le tombeau de son frère Philippe le Hardi exposé aujourd’hui à Dijon.